Myélopathies cervicales

, par  Christophe Nuti, François Vassal, Jacques Brunon , popularité : 4%
[English] [français]

DIAGNOSTIC

*I- CLINIQUE

La symptomatologie clinique résulte de la compression directe des racines nerveuses et/ou de la moëlle épinière, d’une altération de l’apport artériel, d’un engorgement veineux et de l’inflammation, certains éléments génétiques pouvant influencer la résistance des structures nerveuses (35).

**1. Modes de début

L’affection est deux fois plus fréquente chez l’homme que chez la femme et débute entre 50 et 60 ans (26). Avant 50 ans, il s’agit le plus souvent de hernies dicales cervicales médianes molles sur canal étroit .
L’atteinte neurologique est souvent précédée pendant plusieurs mois ou plusieurs années de douleurs cervicales mécaniques (50 à 80% des cas), mal systématisées, d’épisodes de torticolis voire de véritables névralgies cervico-brachiales.
On retrouve souvent la notion de microtraumatismes répétés, de « surmenage » rachidien professionnel ou sportif, plus rarement d’un traumatisme cervical sans lésion radiologique évidente, étiqueté « entorse cervicale », dont on ne peut pas apporter la preuve s’il n’a pas été pratiqué de clichés dynamiques. Il est toutefois possible qu’un tel traumatisme ait entraîné des lésions discales et/ou ligamentaires à l’origine des lésions dégénératives (15).
Le plus souvent on est dans le contexte banal de douleurs mécaniques rapportées à l’arthrose cervicale.
Les troubles de la marche sont habituellement le symptôme inaugural sous la forme d’une fatigabilité, de tendance à la chute, de réduction du périmètre de marche pouvant correspondre à une véritable claudication intermittente neurologique, parfois d’épisodes de dérobement des membres inférieurs. Les difficultés de la marche peuvent aussi être en relation avec des difficultés de coordination (ataxie sensorielle), de troubles de l’équilibre, d’une mauvaise perception du sol, voire des douleurs ou des paresthésies apparaissant pour des distances de plus en plus courtes.
En pratique ces troubles sont assez faciles à distinguer de l’apraxie de la marche (astasie abasie) observée dans l’hydrocéphalie chronique de l’adulte, et de la claudication intermittente des sténoses du canal lombaire tout en sachant que ces pathologies, fréquentes dans cette tranche d’âge, peuvent être associées.
L’atteinte des membres supérieurs peut être un autre mode d’entrée dans la maladie. Il s’agit alors le plus souvent de douleurs ou de paresthésies plus ou moins systématisées dans un territoire radiculaire accompagnées d’une sensation subjective de maladresse ou d’impotence fonctionnelle rendant de plus en plus difficile la réalisation des gestes fins. Une amyotrophie peut être le symptôme révélateur.
La décompensation aiguë d’une forme latente à l’occasion d’un traumatisme cervical relativement mineur est un mode de révélation fréquent : le tableau clinique est alors celui d’une « contusion centro-médullaire » (syndrome de Schneider) réalisant une tétraplégie incomplète prédominant aux membres supérieurs, au maximum une diplégie brachiale (75).

**2. Données de l’examen neurologique

Les signes neurologiques intéressent, dans des proportions variables d’un patient à l’autre, les membres supérieurs, les membres inférieurs et à un moindre degré la sphère vésico-sphinctérienne (66).

2a- L’atteinte des membres supérieurs

Du fait de leur mécanisme physiopathologique il n’y a pas toujours de bonne corrélation entre la topographie des signes neurologiques segmentaires et le siège des lésions anatomiques.
Des signes sensitifs subjectifs sont presque toujours présents sous forme de paresthésies ou de douleurs de type mécanique déclenchées par les efforts ou les mouvements du cou, ou de type neuropathique surtout nocturnes, uni ou bilatérales et le plus souvent asymétriques sans topographie radiculaire très précise. Plus rarement, est réalisé un tableau typique de névralgie cervico-brachiale que l’on peut souvent mettre en évidence par l’interrogatoire quelques années plus tôt.
La douleur radiculaire d’origine mécanique, secondaire à l’atteinte dégénérative, peut être évoquée lors de l’examen clinique par le signe de Spurling (la pression axiale exercée par l’examinateur sur l’extrêmité céphalique en extension et inclinaison latérale du côté des signes reproduit la douleur radiculaire) et le signe du soulagement en abduction (le patient effectue une abduction du bras en posant la main sur sa tête, ce qui entraîne une disparition de la douleur radiculaire) (22).
Des troubles sensitifs objectifs sont mis en évidence à l’examen dans les territoires douloureux, sans respecter une topographie radiculaire précise, le plus souvent sous forme d’une hypoesthésie à tous les modes. Les troubles peuvent prédominer sur la sensibilité lemniscale et expliquer la maladresse pour la réalisation des gestes fins : tenue de crayon, couture, manipulation d’objets de petite taille…
L’atteinte motrice segmentaire est la conséquence soit de l’atteinte radiculaire soit de la souffrance de la corne antérieure ce qui peut dans certains cas simuler une sclérose latérale amyotrophique débutante. Elle est le plus souvent distale, au niveau des muscles de la main, et s’accompagne d’amyotrophie plus rarement de fibrillations musculaires qui restent toujours localisées aux membres supérieurs.
L’abolition d’un ou plusieurs réflexes est fréquemment observée mais leur exagération peut être retrouvée dans les souffrances médullaires hautes .
L’examen clinique peut mettre en évidence un signe de Hoffmann aux membres supérieurs en cas d’atteinte pyramidale.
L’impotence fonctionnelle ressentie par le patient est sous la dépendance à la fois de l’atteinte sensitive et de la diminution de la force musculaire

2b- L’atteinte des membres inférieurs

Elle est responsable des troubles de la marche, des troubles de l’équilibre, de l’impotence fonctionnelle et des tendances à la chute.
L’atteinte pyramidale est rarement responsable d’un déficit moteur important. On observe souvent une paraparésie spastique avec une hypertonie portant sur les extenseurs, une exagération des réflexes et un signe de Babinski bilatéral. Elle peut être discrète au début et mise en évidence seulement après la fatigue et les épreuves de facilitation classiques. Elle peut être masquée en cas d’association avec une sténose du canal lombaire ou une neuropathie périphérique.
L’atteinte cordonale postérieure, responsable de troubles subjectifs à type de paresthésies, d’engourdissement parfois de douleurs spontanées ou provoquées par la flexion du cou (signe de Lhermitte) est mise en évidence par la diminution de la sensibilité vibratoire, une atteinte de l’arthro-kinesthésie et parfois un signe de Romberg.
L’atteinte spino-thalamique est plus rare et plus tardive et se traduit par une hypoesthésie thermique et douloureuse.
Les troubles de la marche présentés par le patient sont plus sous la dépendance plus de l’hypertonie et de l’ataxie sensorielle que du déficit moteur.

2c- Les troubles sphinctériens

Présents dans 30 à 40% des cas, ils sont souvent sous estimés. Ils sont représentés par une dysurie, une pollakiurie et parfois une incontinence d’effort. Ils ne sont pas toujours rattachés à leur cause (on évoque un prostatisme ou une incontinence liée à l’âge chez la femme) et doivent faire l’objet d’une recherche systématique par mesure du résidu post-mictionnel par échographie vésicale.

**3. Les formes cliniques

L’affection est en fait très polymorphe selon la topographie des symptômes, leur gravité et leur évolution. Il est ainsi possible d’individualiser plusieurs formes cliniques :

  • 3a- La forme ataxo-spasmodique, la plus fréquente où dominent les troubles de la marche et de l’équilibre, l’atteinte des membres supérieurs étant le plus souvent infra-clinique. Tous les diagnostics d’atteinte médullaire peuvent être évoqués en particulier une compression médullaire lente mais il n’y a pas de limite supérieure aux troubles sensitifs qui sont plus discrets), y compris une sclérose en plaques, (mais il n’y a pas de signe de diffusion).
  • 3b- Les formes amyotrophiantes prédominant aux membres supérieurs pouvent simuler au moins au début une sclérose latérale amyotrophique mais l’évolution est plus rapide et plus invalidante ;
  • 3c- Les formes à type de paraparésie spastique, avec peu ou pas de troubles sensitifs
  • 3d- Les formes à type de syndrome de Brown Séquard en cas d’atteinte médullaire unilatérale prédominante,
  • 3e- Les formes évoluant par poussées successives faisant suspecter une sclérose en plaque à révélation tardive. La classification de Nurick établie en 1972 (64) permet d’évaluer de façon simple et reproductible le handicap fonctionnel des patients, de suivre leur évolution et d’apprécier le résultats des traitements, mais est relativement imprécise (Tableau 1). La classification de l’association des orthopédistes japonais (JOA) (40) qui s’est imposée à la plupart des auteurs de langue anglaise après modification (7) est la somme de scores fonctionnels. Le score maximal est 17 pour les patients indemnes de toute pathologie neurologique (Tableau 2).

**4-Evolution

Il n’y a pas d’amélioration spontanée. L’évolution est imprévisible avec le plus souvent une détérioration neurologique progressive (35). Toutefois, de longues périodes de quiescence peuvent être observées (56). Dans près de 75% des cas, l’évolution se fait sur un mode discontinu par poussées successives sur plusieurs années. Dans 20% des cas l’évolution est plus ou moins rapidement progressive et dans 5% des cas, on assiste à une décompensation brutale souvent provoquée par un traumatisme cervical plus ou moins violent. Cette décompensation est rare chez des patients de moins de 75 ans avec une myélopathie cervicale modérée (Score JOA > 12) (56).
En cas de sténose cervicale dégénérative sans myélopathie, l’existence d’anomalies électromyographiques ou d’une radiculopathie sur le plan clinique prédit l’évolution vers une myélopathie cervicale symptomatique (56).
Le stade ultime est représenté par une incapacité totale de la déambulation et/ou une impotence fonctionnelle sévère des membres supérieurs réalisant un handicap sévère.
Les diagnostics différentiels potentiels sont multiples (4) : sclérose latérale amyotrophique, sclérose en plaques, sclérose combinée de la moëlle, hydrocéphalie chronique de l’adulte, tumeurs vertébrales (métastases) ou tumeurs intra-durales extra-médullaires, polyarthrite rhumatoïde, malformations artério-veineuses et fistules durales spinales, syringomyélie, hernie discale thoracique, abcès épidural.