Douleur chronique.

, par  Benjamin Pommier, Andrei Brinzeu, François Vassal , Marc SINDOU , popularité : 3%

II. Historique

La douleur chronique est intriquée de longue date à la chirurgieet plus spécifiquementà laneurochirurgie. En 1598, Ambroise Paré songeait déjà à interrompre les voies de la sensibilité pour traiter une plaie douloureuse du Roi Charles IX en appliquant de l’huile bouillante de façon à détruire les fibres sensitives loco-régionales.

Abbe et Bennetten 1889,réalisèrent les premières radicotomies postérieures. Horsley et Frazier (1891 et 1904) entreprirent les premières ganglionectomies et neurotomies rétro-gassériennes dunerftrijumeau pour traiter des névralgies trigéminales essentielles. En 1912, Martin mit en application les principes imaginés par Schuller et Spiller et pratiqua les premières cordotomies spino-thalamiques. Cette technique présentait l’avantage d’une sélectivité sur l’ensemble des voies nociceptives correspondant à une zone douloureuse.C’est sous l’impulsion de Leriche et Wertheimer, dans les années 1940, que naquit réellement le concept de « Chirurgie de la douleur »(54,119), notamment avec l’introduction des techniques de sympathectomie et de myélotomie commissurale postérieure.

Plus récemment, l’accent fut mis sur l’importance des structures inhibitrices contrôlant les voies nociceptives. Ainsi, Ronald Melzack Melzach et Patrick Wall démontrèrent en 1965, l’existence au niveau de la corne postérieure de la moelle, de mécanismes de contrôle de l’entrée des afférences nociceptives (70). Ce contrôle est en grande partie dépendant des fibres radiculaires de gros calibre Aβ à destinée cordonale postérieure puis lemniscale. Ces fibres inactivent les voies nociceptives à destinée extralemniscale : il s’agit de la gate control theory(70). Ces travaux aboutirent aux méthodes d’analgésie par stimulation de ces voies inhibitrices soit au niveau des nerfs périphériques (Wall et Sweet(117)) soit au niveau des cordons postérieurs (99).

Rappelons qu’au début du XXe siècle, Head et Holmes avaient déjà proposé une théorie suggérant que les voies de la sensibilité lemniscale contrôleraient l’activité des voies de la sensibilité extralemniscale au niveau thalamique. Se basant sur cette hypothèse, Mazars avait mis au point la stimulation thalamique intermittente par implantation d’électrodes au niveau du noyau ventro-postéro-latéral(69).

Plus récemment encore, en 1991, fut introduite la technique de stimulation du cortex cérébral moteur (c’est-à-dire précentral) à visée antalgique par Tsubokawa(115).Ilavait fait le constat empirique que la stimulation du cortex, en avant du sillon central de Rolando, entraînait des effets antalgiques.

L’importance des systèmes de contrôle inhibiteur sur les mécanismes de la douleur a été progressivement étayée par de multiples travaux sur la désafférentation sensitive, en particulier ceux de Loeser et Ward (57)et de l’école lyonnaise (32,43). Ces travaux ont prouvé que l’interruption des afférences sensitives par lésion des racines postérieures entraîne, au niveau central, en l’occurrence la corne postérieure, une augmentation de fréquence des potentiels d’action des neurones s’y trouvant. Cette « hyperactivité de désafférentation » explique vraisemblablement nombre de douleurs survenant après lésion des voies sensitives. C’est aussi la raison pour laquelle une interruption des voies de la sensibilité risque d’augmenter la désafférentation et toute chirurgie lésionnelle de la douleur doit être la plus sélective possible. Ces douleurs de déafférentation sont susceptibles d’être réduites par des drogues anticonvulsivantes telles que la carbamazépine.

Dans les cas où les thérapeutiques médicamenteuses ne suffisent pas au contrôle de la douleur, et lorsque existent des foyers de neurones hyperactifs, ceux-ci peuvent être détruits par des techniques lésionnelles sélectives. C’est sur ces bases qu’a été conçue la chirurgie lésionnelle dans la DREZ (Dorsal Root Entry Zone)(102,109).

A côté de ces études, d’autres avancées sur les mécanismes neurochimiques intervenant dans le contrôle de la douleur ont vu le jour, permettant d’intervenir directement sur les cibles neurochimiques. En 1974, Richardson et Akil effectuèrent des stimulations de la substance grise périaqueducale (SGPA) et périventriculaire (SGPV) (92), dans le but d’augmenter la sécrétion des systèmes endomorphiniques et sérotoninergiques. Parallèlement, sous l’impulsion de Yaksh(124)et Lazorthes(51), se développèrent les méthodes de morphinothérapie intrathécale, en particulier au niveau lombaire mais aussi intraventriculaire, ouvrant la voie au concept de la neurochirurgie pharmacologique intrathécale.

Il est fondamental de différencier, au sein de la neurochirurgie de la douleur, les techniques lésionnelles visant à interrompre les voies de la nociception ou à éradiquer d’éventuels foyers de neurones hyperactifs et les techniques de neuromodulation visant à renforcer les mécanismes de contrôle inhibiteur. Le clinicien doit s’efforcer de comprendre quels sont les niveaux d’origine ainsi que les mécanismes neuronaux des douleurs auxquelles il est confronté. Le succès de la chirurgie antalgique dépend de cette analyse tant sur le plan anatomique que physiologique.

Les principaux ouvrages qui ont marqué les étapes de la chirurgie de la douleur sont donnés dans les références suivantes : Leriche R., 1940(54) ; White J.C. et Sweet W.H., 1955(121) ; Mazars G., 1976(68) ; Burchiel K., 2015(16) ; Sindou & al.(107)