Douleur chronique.

, par  Benjamin Pommier, Andrei Brinzeu, François Vassal , Marc SINDOU , popularité : 8%

VI. Diagnostic

VI.1. Éléments cliniques

La douleur chronique, du fait d’un important polymorphisme, nécessite une attention clinique toute particulière.

La douleur possède trois composantes :

  • Physique sensori-discriminativecaractérisée par le siège, l’irradiation, l’intensité, la nature, la durée.
  • Affective et psychologique, avec perception désagréable pouvant engendrer des modifications psychologiques durables.
  • Cognitivo-comportementalepouvant induire des comportements pathologiques.

L’examen clinique est la clé du diagnostic du type de douleur ainsi que de l’étiologie éventuelle.L’interrogatoireest une phase essentielle.Il précise les antécédents médicaux, chirurgicaux et psychiatriques du patient. Il précise l’histoire de la douleur : date, lrmode de début et l’évolution, ainsi que les différents traitements entrepris et la réponse aux grandes classes pharmacologiques des antalgiques (anti-inflammatoires non stéroïdiens, paracétamol, opiacés mineurs (dextropropoxyphène, codéine et tramadol), opiacés majeurs (morphine et dérivés) et co-analgésiques (antidépresseurs, anticonvulsivants)).

Le siège de la douleur ainsi que ses irradiations doivent être dessinés sur un schéma du corps et intégré dans le dossier médical. Il faut savoir reconnaître les douleurs projetées qui sont ressenties à distance de la zone malade. Parmi ces douleurs, il convient de distinguer les douleurs rapportées des douleurs référées (Figure 4) :

  • La douleur rapportée (Figure 4.1) correspond à une douleur ressentie dans le territoire innervé par la structure nerveuse atteinte. C’est le cas d’une douleur de névralgie sciatique par compression d’une racine par une hernie discale lombaire.
  • La douleur référée (Figure 4.2) est quant à elle plus trompeuse.Elle est en lien avec la convergence, au niveau de la corne dorsale de la moëlle, d’afférences sensitives somatiques et viscérales. De ce fait, des lésions viscérales sont susceptibles d’entraîner des douleurs dans le territoire somatique du métamère correspondant, par exemple l’irradiation dans le territoire de l’ulanire gauche ou la racine C8 gauche, de l’angine de poitrine.
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Figure 4

Figure 4 : Projection des afférences radiculaires sur la corne dorsale expliquant les deux types de douleurs projetées : Rapportées (1) et Référées (2).

La description de la douleur doit être précise. Les douleurs neuropathiques se caractérisent par deux composantes différentes :

  • les douleurs spontanées qui peuvent être de deux types, d’ailleurs souvent associés : douleurs de fond à type de brûlure, d’arrachement ou de dysesthésies et douleurs paroxystiques, fulgurantes à type d’élancements ou de décharges électriques.
  • les douleurs provoquées de type allodynique ou hyperalgésique. Une aide au diagnostic de douleur neuropathique peut être apportée par le questionnaire DN4 (Tableau 1) mis au point par Bouhassira et al(11). Concernant les douleurs neuropathiques, les termes de « brûlure, décharge électrique, froid douloureux, engourdissement » reviennent souvent.

Question 1 :La douleur présente-t-elle une ou plusieurs des caractéristiques suivantes ?

1. Brûlure Oui Non
2. Sensation de froid douloureux Oui Non
3. Décharges électriques Oui Non
Question 2 :La douleur est-elle associée dans la même région à un ou plusieurs des symptômes suivants ?
4. Fourmillements Oui Non
5. Picotements Oui Non
6. Engourdissements Oui Non
7. Démengeaisons Oui Non
Question 3 :La douleur est-elle localisée dans un territoire où l’examen met en évidence :
8. Hypoesthésie au tact Oui Non
9. Hypoesthésie à la piqûre Oui Non
Question 4 :La douleur est-elle provoquée ou augmentée par :
10. Le frottement Oui Non
Score/10 (Oui = 1 point ; Non = 0 point)

Tableau 1 : Estimation de la probabilité d’existence d’une douleur neuropathique par le score DN4 d’après Bouhassira et Al. (24). En cas de score <4/10, l’existence d’une douleur neuropathique est probable avec une sensibilité de 82,9% et une spécificité de 89,9%.

La douleur doit également être quantifiée à l’aide de différents outils :

  • Des échelles unidimensionnelles telles que l’échelle visuelle analogique (EVA) ou l’échelle numérique simple (ENS) permettent d’évaluer globalement la douleur. L’échelle visuelle analogique se présente sous la forme d’une petite réglette de 100mm en plastique munie, sur une face d’un curseur mobilisé par le patient (allant de l’inscription “absence de douleur” à l’inscription “douleur maximale imaginable”), sur l’autre de graduations millimétrées lues par le soignant. Le patient place le curseur entre ces 2 extrémités en fonction de l’intensité de sa douleur à un temps. L’échelle numérique simple présente une note de 0 à 100 que choisit le patient pour exprimer l’intensité de la douleur, 0 étant l’absence de douleur et 100 la douleur insupportable. Il s’agit d’échelles simples, reproductibles et validées permettant au clinicien d’avoir une idée de l’intensité de la souffrance du malade et de suivre son évolution.
  • Des échelles multidimensionnelles : Elles permettent de caractériser la douleur et son retentissement sur la vie quotidienne. Le questionnaire douleur de l’hôpital Saint Antoine est non spécifique d’un type douleur (Version française du McGill pain questionnaire(14)). Le questionnaire NPSI (Neuropathic Pain Symptom Inventory(12)) permet, lui, de décomposer les sous-types douloureux d’une douleur neuropathique et d’en évaluer l’évolution. L’adjonction d’une échelle de qualité de vie (SF-36) et/ou d’un score de dépression (Hamilton, HAD etc.) est aussi très utile.

Le contexte personnel, la vie conjugale, familiale, ainsi que le contexte socioprofessionnel et les éventuels conflits juridiques sont des éléments importants dans l’évaluation d’un patient douloureux. La notion de « bénéfice secondaire » à la douleur est à prendre en compte. Le contexte psychologique doit être également évalué, si nécessaire par un psychologue ou un psychiatre.

L’examen neurologique étudie la motricité et les différentes modalités de la sensibilité. Il peut mettre en évidence une hyperalgésie qui est une réponse augmentée à un stimulus normalement douloureux ou une allodynie qui se caractérise par une sensation douloureuse secondaire à des stimuli qui normalement ne doivent pas être perçus comme douloureux ou une hyperpathie, retrouvée surtout dans les douleurs de type neuropathique central, qui se caractérise par une exagération de la perception douloureuse lorsque le stimulus

VI.2. Éléments d’imagerie

Dansles cas de mécanismes difficiles à comprendre,certainesexplorationsparacliniquespeuvent êtred’une grande utilité.


VI.2.1. Imagerie morphologique 

  1. L’Imagerie par Résonnance Magnétique (IRM) s’avère essentielle pour rechercher une lésion causale de douleurs neuropathiques. Elle peut également montrer des signes témoins de la dysrégulation vasculaire aux différents temps d’un Syndrome douloureux régional complexe.
  2. TDM et radiographies peuvent être utiles dans le cas du bilan d’une pathologie tumorale. Elles peuvent également mettre en évidence une déminéralisation osseuse dans le cas d’un syndrome douloureux régional complexe.


VI.2.2. Imagerie fonctionnelle

Parmi les techniques d’exploration par imagerie fonctionnelle, la tomographie par émission de positons (TEP) est intéressante pour la compréhension des mécanismes de la douleur ou l’évaluation des méthodes antalgiques. La TEP permet de visualiser in vivo les changements métaboliques et débitmétriques induits par des stimulations nociceptives(27,85). La TEP avec utilisation de la diprénorphine permet d’étudier les systèmes endomorphiques et leurs modifications sous l’effet des thérapeutiques(61,62). Cependant, l’utilisation de ces techniques reste encore le privilège de certains centres spécialisés.

VI.3. Éléments d’exploration fonctionnelle

  • L’électro-neuro-myographiepermet d’apprécier l’état des nerfs périphériqueset des racines spinales. La mesure de la vitesse de conduction sensitive explore la fonctionnalité des fibres sensitives périphériques.
  • Les potentiels évoqués somesthésiques (PES)explorent la fonction des fibres de gros calibre au niveau des nerfs périphériques, des racines dorsales, des colonnes dorsales de la moelle, des voies lemniscales du tronc cérébral et des fibres thalamocorticales projetant au niveau de l’aire somesthésique SI du lobe pariétal. En outre,les PES s’avèrent indispensables dans l’évaluation du patient douloureux chronique lorsque l’intégrité du système cordonal postérieur et lemniscal est une condition nécessaire au succès de l’intervention de neurostimulation thérapeutiquecomme dans l’éventualité d’une indication destimulation médullaire(106).
  • Les potentiels évoqués nociceptifs (PEN)sontétudiéspar stimulation thermique par laser CO2. Il s’agit d’une stimulation sélective des fibres Aδ et C. Les réponses corticales obtenues avec cette méthode sont très tardives (250-500 ms). L’étude de ces réponses s’avèrent particulièrement utiles dans la détection des altérations spinothalamiques par lésion médullaire ou du tronc cérébral(114).
  • La mesure des réflexes nociceptifs spinaux (réflexe RIII)est étroitement couplée à celle de la sensation douloureuse(122). En pratique, les réponsesEMGsont enregistrées pour le membre inférieur après stimulation du nerf sural au niveau du biceps fémoral homolatéral. L’application du RIII peut être utile à l’évaluation thérapeutique. C’est ainsi que l’atténuation du réflexe RIII est bien corrélée avec l’efficacité clinique de la stimulation antalgique(28).

La synthèse de l’ensemble de ce bilanaideàpréciser le type de douleuretla lésion causale, et de ce faitàdécider de la méthode thérapeutique la plus appropriée.