Traitement chirurgical des anévrysmes de la circulation antérieure

, par  Julien Engelhardt , Emmanuel Cuny , Guillaume Penchet , popularité : 8%

b. Ischémie post-opératoire :

i. Circonstances de survenue :
Contrairement à la rupture per-opératoire, la survenue d’une ischémie après chirurgie anévrysmale n’est pas forcément due à une erreur technique. Ceci implique que, malheureusement, même avec toutes les précautions, cette issue est toujours envisageable. Dans ce contexte, l’ischémie cérébrale a plusieurs origines :

  1. L’hémorragie méningée elle-même, source d’ischémie cérébrale retardée essentiellement par vasospasme
  2. Certaines étapes de la dissection dont l’approche des perforantes très fragiles et de calibre millimétrique
  3. L’utilisation trop appuyée d’écarteurs autostatiques
  4. Un clampage temporaire mal toléré
  5. Le détachement d’une plaque d’athérome suite à la manipulation d’un vaisseau ou de l’anévrysme lui-même
  6. Et bien sûr un clip mal positionné

Nous avons détaillé précédemment les principes de dissection et del’exclusion par clip à comprendre pour minimiser au mieux le risque ischémique. Le contrôle de la perméabilité des axes artériels par doppler et vidéo-angiographie, ainsi que le monitorage des PES/PEM surtout lorsqu’un clampage temporaire est envisagé, sont des outils pratiquement indispensables aujourd’hui dans la prévention des complications ischémiques.

ii. Moyens de prévention à disposition :

  1. Neuroprotection, maintien de la perfusion tissulaire et dépistage de l’ischémie durant le clampage temporaire : L’occlusion même transitoire et de courte durée d’une artère terminale comme l’ACM n’est pas sans risque ischémique, en particulier dans le contexte d’une rupture anévrysmale récente. Cet aspect motive la réalisation d’un protocole anesthésique assurant une neuroprotection (hypothermie modérée à 32-33°C et burst suppression parthiopental pour certains 19) tout en maintenant une PPC de 70-80 mmHg au moins soit 100 mmHg de PAM ; et motive l’intérêt d’une évaluation per-opératoire par le monitorage des potentiels évoqués somesthésiques et moteurs. Les variations peropératoires de ces potentiels en cas de situation ischémique sont précoces et permettent généralement l’application de mesures correctives (relâchement du clampage) avant tout infarctus constitué. Plus qu’une durée absolue, le temps de clampage doit être le plus bref possible, certains patients tolérant de grandes périodes d’olighémie contrairement à d’autres beaucoup plus susceptibles de développer un accident ischémique constitué. D’une manière générale, lorsque le clampage temporaire est parti pour durer, il ne faut pas hésiter à retirer le clip au bout de 3 minutes, attendre au moins 3 minutes de reperfusion puis reclamper.
  1. Contrôle de la perméabilité artérielle en per-opératoire : doppler et vidéo-angiographie au vert d’indocyanine
  • Le Doppler per-opératoire : Son utilisation dans la chirurgie anévrysmale intracrânienne fut décrite pour la première fois en 1979 20. Le principe est très simple. Il consiste en l’application directement sur la paroi artérielle d’une micro-sonde de 1mm de diamètre délivrant des ultra-sons à la fréquence de 16 à 20 Hz. Le signal doppler obtenu peut être soit simplement retranscrit de manière acoustique, soit visualisé sur un écran montrant un spectre de flux. 2 éléments sont recherchés lors de l’enregistrement doppler : une éventuelle sténose artérielle et une perméabilité anévrysmale résiduelle. Premièrement, comme il n’est pas possible de définir des valeurs basales de débit et de vitesse (dépendant du diamètre des vaisseaux et donc du potentiel spasme artériel lié à l’HSA, mais également de la viscosité sanguine non connue du fait du remplissage per-opératoire et de l’angle entre la sonde et le vaisseau), l’utilisation du doppler ne peut se concevoir qu’après avoir préalablement effectué un enregistrement avant l’exclusion par clip, qui servira de référence. Ensuite, une sténose est définie de la sorte, donc par rapport à l’enregistrement initial 21 :
  1. Sur le lieu supposé de la sténose : augmentation de la vélocité sanguine, la diminution n’apparaissant que lors des sténoses très serrées (> 80%).
  2. En proximal par rapport à la sténose : diminution des vitesses diastoliques et augmentation de l’index de pulsatilité (IP)
  3. En distalité par rapport à la sténose : diminution des vitesses systoliques et de l’IP.
  4. En général, le seuil de significativité considéré est une modification des vitesses d’au moins 10%.

Concernant la perméabilité résiduelle de l’anévrysme, la définition est très simple, il s’agit de la persistance d’un flux sanguin, même minime, intra-anévrysmal.

  • La Vidéo-angiographie au vert d’indocyanine :

La technique de vidéo-angiographie facilement utilisable en routine que nous connaissons ne fut mise au point qu’en 2003, par l’équipe de Raabel (Francfort, Allemagne) sur un microscope Zeiss ©. Le colorant utilisé (car ce n’est pas un produit de contraste) est le vert d’indocyanine, bien connu des ophtalmologues pour les micro-angiographies au fond d’œil. La dose recommandée pour la vidéo-angiographie est de 0,2 à 0,5 mg/kg par injection, avec une dose journalière maximale de 5 mg/kg. En pratique, le microscope va illuminer le champ opératoire avec une lumière couvrant la zone d’absorption du vert d’indocyanine, entre 700 et 850 nm. Le colorant est injecté sur une voie veineuse périphérique par l’anesthésiste, en bolus, à la dose moyenne de 25 mg dilué dans 5 mL de sérum. La fluorescence est induite dès l’arrivée du colorant dans les artères situées dans le champ du microscope, et un filtre bloque toute autre lumière environnante. D’après ce principe, il faut bien comprendre que la vidéo-angiographie ne permet d’analyser que les vaisseaux abordés et exposés dans le champ du microscope, et uniquement ceux-là. Il ne s’agit en aucun cas d’une angiographie per-opératoire au sens que nous lui connaissons. Autre remarque d’ordre pratique, la demi-vie plasmatique du vert d’indocyanine étant de 3 à 4 minutes, il faut entendre au moins 6 min pour pouvoir renouveler l’injection sous peine d’être parasité par les capillaires et veines encore injectés. Enfin, l’interprétation de la vidéo-angiographie se fait habituellement visuellement, sur des critères cinétiques et d’intensité de fluorescence. Ainsi, une sténose est diagnostiquée lorsque l’on met en évidence un retard entre l’injection d’une branche artérielle par rapport aux autres branches naissant du même tronc et une intensité de fluorescence plus faible dans la branche sténosée par rapport à une branche de même calibre (ou idéalement par rapport à une acquisition faite avant application du clip). A côté de ces critères purement visuels mais déjà très sensibles, il existe des logiciels à installer sur le microscope permettant une analyse quantitative du flux artériel (débit, vitesse), mais leur apport en pathologie anévrysmale reste assez faible et ils sont surtout utilisés dans l’étude hémodynamique des malformations artério-veineuses.

  1. Dépistage de l’ischémie cérébrale en per-opératoire : Potentiels Evoqués Somesthésiques et Moteurs Les techniques vues précédemment (doppler, vidéo-angiographie) permettent de déceler des sténoses artérielles lors de la mise place du clip. Cependant, le risque ischémique est également présent lors de deux étapes précédent l’exclusion par clip : la dissection (spasme notamment des perforantes, écarteurs) et le clampage temporaire. Dans le premier cas, l’ischémie est due à un trouble de la micro-circulation ou de la circulation profonde, donc non explorable par doppler ou vidéo-angiographie, et dans le deuxième cas, l’exploration de l’axe porteur n’a pas de sens, puisque c’est la conséquence distale de son occlusion qui doit être analysée. C’est à ces niveaux que deviennent intéressants les PES et PEM. En effet, la qualité des signaux électriques enregistrés (potentiels), c’est-à-dire leur amplitude et temps de latence, sont proportionnels au débit sanguin régional (RCBF, regional cerebral blood flow) de la zone cérébrale analysée (cortex moteur et somesthésique). L’intérêt principal des PES/PEM réside dans le fait que leurs altérations sont très précoces, bien avant la constitution d’une lésion ischémique définitive, et qu’ils permettent donc l’application de mesures correctives immédiates (relâchement d’un clip temporaire mal toléré par exemple). +++

VI.3. Résultats de l’acte : exclusion complète ou incomplète de l’anévrysme ?

On entend par exclusion incomplète deux situations distinctes : la présence d’un résidu au collet, et la perméabilité persistante de l’anévrysme.

VI.3.a. Résidu au collet :

L’étude CARAT (Cerebral Aneurysm Rerupture After Treatment) a montré que la présence d’un résidu après traitement de l’anévrysme était de loin le principal facteur prédictif d’une récidive hémorragique 22. Ainsi, une occlusion à moins de 70% de l’anévrysme fait courir un risque identique de récidive hémorragique à celui d’un anévrysme rompu non traité. Par conséquent, quelque soit la modalité thérapeutique, l’objectif est l’occlusion la plus complète possible. L’évaluation du taux d’occlusion est classiquement réalisée sur l’artériographie post-opératoire, en utilisant la classification de Raymond-Roy 23définie initialement pour évaluer le traitement par embolisation des anévrysmes asymptomatiques : (entre parenthèse les taux d’occlusion correspondant utilisés dans l’étude CARAT)

  • Classe I : occlusion complète (100%)
  • Classe II : résidu au collet (91 à 99% : petit résidu, 70 à 90% : résidu franc)
  • Classe III : résidu anévrysmal (1 à 69% : occlusion partielle)

Cependant, contrairement aux procédures endovasculaires qui sont systématiquement contrôlées par artériographie, peu de chirurgiens font réaliser des artériographies post-opératoires. En effet, de l’aveu même des investigateurs de CARAT, le taux d’occlusion anévrysmale a dû être déduit, dans le bras chirurgical, des compte-rendus opératoires dans un nombre non négligeable de cas, aucune imagerie post-opératoire n’ayant été réalisée. Ainsi, le chiffre avancé de 91,5% d’occlusions complètes sur 706 exclusions par clip dans CARAT doit être nuancé par le manque d’objectivité dans l’évaluation du taux d’occlusion. Cependant, bien qu’étant la plus importante étude publiée à ce jour sur le sujet, elle reste néanmoins une étude observationnelle d’une cohorte de patients traités entre 1996 et 1998, période durant laquelle l’angioscanner 3D et les clips titane (n’entrainant que peu d’artéfacts) n’étaient pas encore très utilisés, et durant laquelle la vidéo-angiographie n’était pas disponible. Les données plus récentes de la cohorte de BRAT (2003 à 2007) font état d’un taux d’occlusion complète de 85,1% sur 269 exclusions par clip, essentiellement objectivés sur l’angioTDM post-opératoire (pour mémoire, dans la même étude, 57,9% d’occlusion complète dans le bras endovasculaire, p < 0,0001) 7.

La cause principale de résidu au collet est la mise en place du clip trop haut sur la paroi anévrysmale, du fait de la présence de branches collatérales naissant au collet ou à proximité et gênant l’application du clip. Dans ce cas, l’utilisation d’un clip fenêtré peut être la solution, tout en faisant attention de ne pas laisser de reliquat anévrysmal entre l’artère protégée dans la fenêtre et la partie proximale du clip. Si tel est le cas, il convient de doubler le clip par un autre clip fenêtré (technique de Drake) 24. En cas de situation inextricable, la dernière solution réside dans l’enrobage du collet résiduel. Enfin, un résidu au collet peut être volontairement laissé en place lorsque ce dernier est calcifié ou athéromateux, la mise en place d’un clip à ce niveau faisant courir le risque de déchirure au collet. Dans ce cas, un enrobage de la zone sera réalisé.

VI.3.b. Perméabilité persistante de l’anévrysme :

Cette situation correspond à la présence d’un flux intrasacculaire résiduel. Il s’agit de la classe III de la classification de Raymond-Roy pour les anévrysmes embolisés, situation à haut risque de récidive hémorragique. Une façon très simple de s’assurer de l’absence de résidu anévrysmal est de ponctionner l’anévrysme après mise en place du clip. En effet, nous avons vu plus hautque la vidéo-angiographie pouvait être mise en défaut dans ce type de situation, avec un risque non négligeable de faux négatifs.Cette situation est due, soit à la mise en place d’un clip trop court, soit à un clip bien calibré mais pas tout à fait positionné sur le collet chirurgical, soit à un défaut de force de fermeture en distalité du clip lors de l’utilisation de clips longs pour les anévrysmes à collet très large. Dans le premier cas, il suffit de changer de clip. Dans le deuxième cas, il existe trois solutions : placer un deuxième clip en tandem, placer un deuxième clip face à face ou repositionner le clipen trois temps. Enfin, dans le dernier cas, il peut être nécessaire, soit de doubler le clip par un clip encore plus long, appliqué au-dessus du premier, soit d’appliquer un clip « booster » sur la distalité du premier.