Traitement chirurgical des anévrysmes de la circulation antérieure

, par  Julien Engelhardt , Emmanuel Cuny , Guillaume Penchet , popularité : 7%

V.2.b. Les abords des anévrysmes de la partie antérieure du polygone de Willis : déclinaisons du volet ptérional et de l’ouverture de la vallée sylvienne

i. Volet ptérional  :

Le patient est installé en décubitus dorsal. La tête doit être tournée entre 15 et 45°, selon la partie du polygone de Willis à aborder et la projection de l’anévrysme. Dans tous les cas, la rotation sera associée à une légère extension céphalique, le repère étant « la pommette au zénith ». L’angioTDM 3D avec reconstructions dans la vue « opérateur » est d’une aide déjà précieuse à cette étape. Selon le degré de rotation céphalique à obtenir, et la souplesse cervicale du patient, un billot ou des coussins sous l’épaule peuvent s’avérer nécessaires pour libérer au maximum les veines jugulaires internes en maintenant l’axe tête-cou-tronc en positionneutre,comme dit précédemment.Une incision arciforme fronto-temporale pré-tragale est réalisée ouvrant la galéa et respectant le périoste. L’hémostase des vaisseaux sous-cutanés doit être soigneuse afin d’éviter tout écoulement sanguin dans le champ opératoire durant l’intervention. Dans l’idéal, cette hémostase est obtenue par l’application de clips de Raney ou d’agrafes de Michel le long de l’incision cutanée. La peau est ensuite décollée de l’aponévrose musculaire au bistouri jusqu’au plan graisseux qu’il convient de ne pas dépasser pour éviter une lésion de la branche frontale du nerf facial. Il n’est pas nécessaire de réaliser une dissection inter-fasciale telle que décrite par Yasargil sauf pour réaliser une dépose orbito-zygomatique, d’indication exceptionnelle dans la chirurgie anévrysmale. Au niveau de la partie inférieure de l’incision, la conservation de l’artère temporale superficielle (ATS) est indiquée pour plusieurs raisons. Tout d’abord, chez le sujet âgé car parfois à l’origine de la vascularisation rétinienne lorsqu’il existe des plaques athéromateuses de l’artère carotide interne au contact de l’artère ophtalmique, et enfin si un geste d’anastomose extra-intra-crânienne est potentiellement indiqué devant la complexité de l’anévrysme à sécuriser.

Le muscle temporal estincisé au bistouri électrique lelong de la linea temporalis jusqu’au rebord orbitaire externe puis décollé de la table osseuse à la rugine mousse. Le décollement se fait toujours dans la direction des fibres, pour respecter l’aponévrose temporale profonde et ainsi éviter les disgracieuses atrophies temporales post-opératoires. De 1 à 3 trous de trépan sont forés pour la réalisation de la craniotomie. Le premier en avant du tragus, le second en arrière de la suture coronale à 5-6 cm de l’apophyse zygomatique et le dernier en arrière du pilier orbitaire externe, au « Key-hole point ». Après décollement de la dure-mère, le volet de craniotomie est réalisé puis soulevé à la spatule en brisant si nécessaire le ptérion. Il s’agit d’un volet volontiers hémorragique du fait de la rupture de l’artère méningée moyenne mais aussi des veines diploïques. L’hémostase est conduite à la pince bipolaire et à la cire de Horsley. Une suspension de la dure-mère autour de la suture coronale est recommandée afin d’éviter les saignements intempestifs après drainage du LCR. Après résection du ptérion à la pince gouge et obtention d’une hémostase parfaite, la dure-mère est ouverte de façon arciforme autour de la projection de la vallée sylvienne.

Pour l’abord d’un anévrysme carotidien, le temps extra-dural est complété par un fraisage de la petite aile du sphénoïde jusqu’au plan de la fissure orbitaire supérieure. Pour les anévrysmes très proximaux, tels que les carotido-ophtalmiques voire certain communicants postérieurs, une clinoïdectomie antérieure par voie extra ou intra-durale devra être réalisée, pour obtenir le contrôle proximal du vaisseau porteur et pouvoir faire le tour de tout le collet de l’anévrysme. La découpe osseuse du voletdoit descendre assez bas au niveau de la fosse temporale, voiredans certains cas s’accompagner d’une dépose orbito-zygomatique. Lorsqu’un fraisage de la clinoïde est envisagé, l’opérateur s’assurera au préalable d’avoir vérifié le caractère pneumatisé ou non de la clinoïde, pour préparer l’étanchéité si nécessaire.Pour l’abord d’un anévrysme du complexe communicant antérieur, le volet ptérional est élargi sur le versant frontal, en prolongeant l’ouverture osseuse sur 2 cm au ras du toit orbitaire. Il est donc très important de regarder sur le TDM pré-opératoire l’extension du sinus frontal pour éviter toute effraction rallongeant le geste chirurgical inutilement. Un fraisage des aspérités osseuses par voie extra-durale complète cette voie d’abord pour faciliter la pose du clip définitif en cas d’anévrysme à projection antérieure ou inférieure.Pour l’abord d’un anévrysme sylvien, le volet est centré sur la projection de la vallée sylvienne, il s’agit duvolet ptérional « classique ».

ii. Ouverture de la vallée sylvienne

L’ouverture de la scissure latérale représente le premier temps chirurgical après un volet ptérional, pour l’abord de la grande majorité des anévrysmes. Préalablement, il est recommandé d’avoir pris connaissance de la configuration du drainage veineux sylvien sur l’imagerie pré-opératoire (difficile sur l’angioTDM, plus simple sur le temps tardif de l’angiographie) car il est nécessaire de le préserver au mieux afin de réduire le risque de complications hémorragiques loco-régionales. En effet, les veines sont les « gardiens » de la vallée sylvienne, et le pattern veineux est extrêmement variable d’un patient à un autre. Deux types d’information doivent être analysés. Premièrement, la vallée sylvienne peutêtre plus ou moins « chargée », sans veine superficielle,avec une seule veine, dans ce cas le passage se fait sur leversant frontal, deux veines, le passage se faisant si possible entre les 2 veines, ou de multiples veinesavec un passage difficile. Deuxièmement, le drainage des veines sylviennes peut être de 4 sortes,
   : drainage rétrograde par la veine anastomotique supérieure de Trolard (A) ou inférieure de Labbé (C), drainage antérograde dans le sinus sphéno-pariétal de Brechet (B) ou drainage mixte antéro et rétrograde (D). Cette information, obtenue indirectement par le calibre des veines sur l’angioTDM et de visu en per-opératoire ou directement par le temps veineux dynamique de l’angiographie, est capitale lorsque l’on est potentiellement amené à sacrifier la partie proximale de la ou les veines sylviennes. En effet, dans certains cas, l’abouchement de la veine sylvienne dans le sinus de Brechet est suffisamment imposant pour bloquer le passage à la partie toute proximale de la vallée (on parle aussi de veine « verrou »). Si le drainage est préférentiellement rétrograde, le sacrifice n’aura a priori pas de conséquence, la situation étant totalement différente en cas de drainage antérograde.

L’ouverture de la vallée est en général réalisée en partant du tiers supérieur de la scissure vers le ptérion voire, en cas de nécessité, jusqu’à la citerne opto-carotidienne. L’utilisation d’un micro-bistouri à lame pointue (type bistouri ophtalmique) ou d’une paire de ciseaux micro est facilitée par le décollement progressif du plan sous pial par une spatule mousse fine. L’hémostase des saignements inopinés doit être prudente pour éviter toute diffusion de la coagulation vers la ou les veines sylviennes. L’extension en profondeur de la dissection doit être progressive et large pour limiter la nécessité d’un écartement trop prononcé des lobes temporal ou frontal. Un premier piège consiste alors à perdre le plan de dissection et à passer en sous-pial en rentrant dans le lobe frontal ou temporal. En effet, la scissure peut se présenter sous 4 formes.

Une forme « facile », large et atrophique, une forme « serrée », les 2 lobes étant accolés, mais avec un plan de dissection régulier vers la profondeur, et deux formes « difficiles » avec des interdigitations du lobe frontal dans le lobe temporal ou vice et versa. C’est dans ces formes que l’opérateur peut s’égarer. Une fois le plan trouvé, les brides arachnoïdiennes sont libérées, sans traction ou écartement intempestif, à la spatule ou sectionnées aux ciseaux.La suite de la dissection, le degré d’ouverture, son sens et l’ouverture des citernes basales dépendra du type d’anévrysme à aborder.

V.2.c. Dissection de l’anévrysme :

i. Intérêt du clampage temporaire :

Cet aspect doit être discuté dans le planning pré-opératoire en particulier lorsqu’il existe une ou plusieurs des conditions suivantes :

    • Nécessité de dissection d’adhérences de branches artérielles ou du cortex cérébral au contact de la phlyctène de rupture
    • Risque de rupture lors de la pose du clip prévu par l’existence de plaques d’athérome ou de calcifications sur le sac ou pour des anévrysmes très phlycténulaires
    • Difficulté de positionnement du clip définitif, souvent en rapport avec un anévrysme de grande taille

Le clampage temporaire est très efficace pour la sécurisation de ces situations et utilisé à bon escient permet d’optimiser la qualité de l’exclusion. Il doit même pouvoir être envisagé lorsque la dissection fait apparaitre un risque de rupture précoce non prévu. La dissection première de l’axe artériel porteur et le choix de la forme du clip temporaire sont ainsi des points importants dans l’apprentissage de cette chirurgie.

ii. Combien de faces disséquer ?

La dissection du sac et du collet de l’anévrysme poursuit l’ouverture de la vallée sylvienne, par exemple, selon les mêmes techniques de dissection douce à la spatule micro, à la pince bipolaire fine et aux ciseaux micros en évitant toute traction excessive. Une des questions qui se pose alors est le nombre de faces de l’anévrysme à exposer pour pouvoir clipper le collet en toute sécurité. En effet, alors qu’aucun geste ne doit être inutile, en particulier lorsque l’on travaille à proximité directe de l’anévrysme, la dissection doit être suffisante pour appréhender la totalité de l’anatomie environnant l’anévrysme. Les 5 faces d’un anévrysme (supérieure, externe, interne, antérieure et postérieure) ne nécessitent pas obligatoirement d’être disséquées ni même qu’elles le soient de façon complète pour envisager une exclusion de bonne qualité. Il est par contre indispensable d’obtenir, tout d’abord, une exposition correcte de l’ensemble de la bifurcation sylvienne par exemple pour apprécier au mieux son orientation et les points d’émergence des branches de division, et d’autre part, 3 faces du collet chirurgical de l’anévrysme. Cette exposition, une fois le clip posé, permettra l’évaluation correcte de la perméabilité de l’ensemble des artères, la longueur suffisante du clip et l’absence de collet ou de sac résiduel.

iii. Difficultés fréquemment rencontrées :
Il faut savoir que la dissection de l’anévrysme, de ses faces, son dôme et son collet sera nécessairement tributaire de la présence de 2 types d’écueils :

    • Zones de fragilité du sac :

Elles sont facilement repérées car elles correspondent à des zones de paroi amincie et généralement suffisamment transparentes pour percevoir le flux sanguin au sein du sac. Ces zones, dites phlycténulaires sont parfois identifiables sur l’imagerie pré-opératoire sous la forme de déformation localisée du sac anévrysmal. L’évidence de cette fragilité impose de n’entrevoir leur dissection qu’en cas de nécessité et ce, le plus tardivement possible. Dans ce contexte spécifique, il peut parfois être utile de réaliser une dissection sous-piale de ces zones, laissant au contact de la phlyctène un accolement pie-mérien.

    • Accolement des artères sur l’anévrysme :

L’accolement d’artères sur le sac doit être analysé quant à la nécessité et la faisabilité de leurs dissections. Plusieurs situations distinctes peuvent être envisagées :

  • Accolement au collet chirurgical des branches de division principales L’adhérence se situe sur une paroi d’anévrysme le plus souvent épaisse et donc résistante. Habituellement, elle peut être libérée très progressivement en utilisant la spatule mousse parallèlement à l’axe de l’artère vers la base du collet avec parfois la nécessité de sectionner aux ciseaux ou au bistouri à lame fine des symphyses résistantes au décollement simple.

Ce décollement est souvent nécessaire avant la pose d’un clip définitif même s’il est parfois possible d’envisager l’exclusion au moyen d’un clip fenêtré dont on verra ultérieurement les conditions de son utilisation.

  • Accolement sur le sac anévrysmal Du fait de la fragilité du sac lui-même, le décollement doit être très prudent et ne s’envisager que si la pose d’un clip au collet et sous l’adhérence est impossible. Dans ce contexte, la technique de décollement est identique mais peut se limiter à ce qu’il est nécessaire pour l’exclusion. L’utilisation d’un clampage temporaire du vaisseau porteur peut faciliter cette dissection car il permet une détente du sac et ainsi, une mobilisation plus aisée de l’artère. D’autre part, il offre une réassurance évidente au geste et autorise un contrôle facilité de l’hémorragie en cas de rupture.
  • Accolement sur une phlyctène ou symphyse complète entre sac et artère Dans ce contexte le décollement est à proscrire car la rupture de l’anévrysme ou de l’artère est en pratique inévitable et difficile à contrôler. Il est préférable de se reporter au collet et tenter d’obtenir un passage pour les mords du clip sans opérer de traction sur la zone d’accolement. Il peut s’agir également d’une indication à l’utilisation de clips fenêtrés.

iv. Quelques astuces techniques pour progresser dans la dissection :

Certaines techniques peuvent être utilisées lorsque la dissection de l’anévrysme est rendue difficile soit par le volume soit par le caractère intra-parenchymateux du sac.

    • Coagulation du sac : Cette coagulation est entreprise au collet de l’anévrysme, zone de moindre fragilité en remontant vers le sac lui-même. Elle permet de réduire progressivement le volume d’un anévrysme pour faciliter la fin de la dissection ou la pose d’un clip définitif. Elle doit rester prudente en utilisant une pince bipolaire, si possible irrigante, en augmentant par palliers l’intensité de coagulation. L’effet désiré produit initialement un « blanchiment » de l’anévrysme puis sa rétraction. Il faut bien évidemment utiliser cette technique lorsque les sites de fragilité de l’anévrysme ont été libérés des adhérences susceptibles de favoriser une rupture lors de la rétraction.
    • Dissection sous piale : Extrêmement utile, elle doit être préférée à l’utilisation d’écarteurs auto-statiques trop appuyée. Elle s’envisage principalement lorsqu’il n’existe pas de plan de clivage net entre le sac anévrysmal et le cortex cérébral. Si une dissection à la spatule mousse sans ouverture piale ne pose généralement pas de difficultés au collet, il en est pas toujours de même sur les sites de fragilité du sac. Dans ce contexte, une résection sous-piale minime est une solution efficace. Elle est entreprise en coagulant puis en sectionnant la pie-mère au contact du sac. Une aspiration douce sous piale est conduite, libérant ainsi l’anévrysme du cortex tout en laissant un accolement pie-mérien sur le sac. La pie-mère est ensuite sectionnée tout autour de cette zone d’adhérence pour libérer complètement l’anévrysme.
    • Clampage puis ponction du sac : Il existe des situations où malgré une dissection adéquate de l’anévrysme, il apparait difficile d’envisager une exclusion correcte sans prise de risque quant à la perméabilité des artères adjacentes et ce malgré l’utilisation d’un clampage temporaire. Ceci est plus particulièrement spécifique aux anévrysmes de grande taille (>15mm) où les contraintes liées au volume du sac n’autorisent souvent pas de poser un clip sans risque de déplacement secondaire au cours de sa fermeture ou de torsion sur l’axe artériel porteur après sa pose. Il est possible, dans ce type de cas, de proposer en association au clampage temporaire lorsqu’il n’est pas suffisant, une ponction/aspiration du sac. La réduction de volume obtenue permet de terminer une dissection ardue et / ou de poser un clip sans contrainte ni déplacement secondaire. Il est préférable de conduire à 2 opérateurs ce type de technique afin d’obtenir un champ opératoire exsangue pour la pose du clip et de réduire le temps de clampage.