Annonce d’une tumeur cérébrale chez l’adulte

Le point de vue psychologique

L’annonce porte une part d’impossible, un dialogue paradoxal entre, d’une part, le médecin qui énonce une réalité médicale demandant au patient d’accepter ce diagnostic traumatisant et, d’autre part, le patient qui souhaite une vérité n’impliquant que de bonnes nouvelles (53).
Avant l’annonce du diagnostic de tumeur cérébrale, le patient qui ne se sait pas malade a des perceptions physiques dont il ne soupçonne pas la nature maligne même si parfois elles peuvent se montrer « étranges » telles qu’une perte partielle du mot ou un malaise passager. Le délai qui mène à la prise en compte de perceptions physiques « étranges » peut être le reflet d’un déni de la gravité à imputer à ces perceptions. Cependant l’apparition de symptômes soudains comme une crise d’épilepsie, un déficit moteur ou une aphasie amène le patient à consulter son médecin traitant qui le dirigera rapidement vers l’hôpital.
Le temps des examens correspond à la période d’attente pendant laquelle les hypothèses diagnostiques peuvent être exposées aux patients, dont l’hypothèse d’une tumeur maligne. Il est alors en proie à des angoisses concernant son devenir et l’amélioration ou non de son état. Il est donc face à une attente pénible qui lui est difficile à supporter d’autant plus qu’il y a parfois des symptômes invalidants. L’attente est longue entre la découverte de la maladie et le diagnostic définitif. Or, plus ce temps est long, plus l’angoisse de mort est importante.
Le jour de la consultation médicale d’annonce, au cours de laquelle le patient apprend le diagnostic, le choc psychologique est fonction de la représentation de la maladie et de l’attente du patient. Certains patients sont soulagés de connaître le diagnostic car l’annonce met fin à une attente interminable, d’autres disent vouloir "tout" savoir mais n’attendent en réalité que l’annonce d’une bonne nouvelle infirmant les annonces précédentes. Parfois le patient ne souhaite pas d’information et laisse ses proches les recevoir pour lui. D’autres encore pensent pouvoir, ou devoir, faire face seul et ainsi protéger leurs proches. Pour le médecin, annoncer le diagnostic revient à donner une information que le patient ne peut pas soupçonner sur son état de santé, sur son corps et qui l’atteindra sur le plan psychologique. Pour Alby, « le médecin responsable, qu’il le veuille ou non, entre dans le champ de la transgression. Il sait sur le patient ce qu’il est toujours dangereux de savoir : ses chances statistiques, les risques de la thérapeutique » (8). Il existe ici une relation asymétrique entre le médecin et le patient, qui le rend vulnérable, avec une double blessure, physique et psychologique.
L’annonce, elle-même, entraîne immédiatement une nouvelle angoisse quant au caractère définitif du diagnostic de cancer impliquant un pronostic sombre, la mise en route d’un traitement lourd, une évolution grave et la possibilité d’une non guérison et même d’une rechute. Le temps de l’annonce au sein du DA permet de canaliser l’angoisse par le temps pris pour tout expliquer au patient et à son entourage, mais également d’opérer un soutien psychologique afin d’aider le patient à affronter la situation. Seul le temps permettra de faire accepter la maladie. Selon Freud (23), il s’agit d’« une expérience vécue qui apporte, en l’espace de peu de temps, un si fort accroissement d’excitation à la vie psychique que sa liquidation ou son élaboration par les moyens normaux et habituels échoue ». La possibilité de rencontrer l’infirmière ou la psychologue du DA dès l’annonce du diagnostic radiologique peut aider au dépassement du choc psychologique par l’attention portée au patient et à sa famille sans pour autant se substituer au médecin dans l’annonce médicale du diagnostic histologique. Dès ce moment un contact avec le médecin traitant peut aider à établir une relation de confiance et favoriser la communication entre l’équipe médicale et le patient (et sa famille.
Lors de la consultation médicale d’annonce, il existe une sidération en raison d’un surcroît de tensions psychiques lié à la menace de mort. Le plus souvent le patient est effrayé face à l’écart entre sa représentation de la maladie et les informations médicales qu’il reçoit sur le cancer et sur son traitement. A ce moment, il existe une rupture dans la communication entre le médecin et le malade, ce dernier ne pouvant plus entendre les explications, le choc psychologique ne laisse plus « de place pour le rationnel. Le message technique ne passe pas. Il est inutile que le médecin poursuive ses explications » (45). Le patient sélectionne inconsciemment les informations pour éviter celles qui véhiculent un surcroit d’émotion, et ainsi se protège. Il met en place des mécanismes de défense pour faire face à ce contexte violent qui le rend dépendant de ce qu’entreprend le médecin, de ses connaissances sur la maladie et des traitements possibles mais aussi de ce qu’il n’entreprend pas. L’apport d’informations médicales s’inscrit dans une relation que ni le médecin ni le patient ne souhaitent vivre mais qui exige une reconnaissance mutuelle de la capacité des deux à faire face à la violence de la situation.
Les mécanismes de défense sont des processus psychiques inconscients qui se mettent en place pour lutter contre l’idée de mort ou les pensées qui y mènent. Ils permettent ainsi de décharger la tension extrême. Ils s’inscrivent dans la durée mais peuvent se modifier avec le temps et avec l’évolution de la maladie. En réaction à l’annonce du diagnostic de cancer, le patient peut, par exemple, chercher à rationaliser la maladie pour tenter de maitriser la situation. Son anxiété est alors canalisée par un discours pseudo-scientifique. Il adhère au discours médical et répète ce qu’il a entendu sans forcément saisir toute la portée des mots exprimés.
La présence d’un proche lors de la consultation d’annonce est fortement recommandée afin de faciliter le dialogue pendant la consultation mais, également, ensuite, en famille, lorsque le choc psychologique peut être réactivé au moment où le patient annonce la maladie à son entourage. Les explications médicales sur les soins et les conséquences du cancer sur sa vie ne seront entendues par le patient que dans un second temps, une fois le traumatisme de l’annonce dissipé.
La prise de conscience de la gravité de la maladie et du risque de mort laisse émerger une colère à l’égard de cet étranger qui se loge en soi dans une partie du corps qu’on ne peut pas soupçonner d’être atteint. La mise en mots de cette colère est importante afin de progresser dans l’acceptation de la maladie et du traitement. Confronté à la perte de son idéal de vie, le patient est amené à réaliser un travail de deuil. « Le travail de deuil, face au traumatisme de la maladie cancer, serait alors à écrire comme renoncement, ou plus exactement comme confirmation d’un renoncement » (49). Le travail de deuil correspond à une intégration de la réalité dans la vie et permet aux patients de réaménager leurs buts existentiels. Selon Nietzsche cité par Le Blanc (38), « la maladie est un point de vue sur la vie qui permet de la voir autrement et de l’aimer différemment ».
Le patient est ainsi contraint à un travail d’élaboration pour cheminer. Celui-ci commence par un travail de deuil de la situation socio-économique qui se modifie et de perte de son illusion d’immortalité. Ce travail de deuil sera d’autant plus compliqué qu’il réactive des deuils personnels non résolus. La séparation avec la vie antérieure pour un recentrage sur la maladie n’en sera que plus difficile. Cela se déroule à partir des phases de deuil à savoir celle du choc psychologique, celle de la dépression liée à la douleur de perdre ses illusions et celle de l’intégration de l’impact du cancer sur sa vie avec le réaménagement des buts existentiels. Le patient traverse ces phases à son rythme en fonction de son histoire et de sa personnalité. Le deuil permet au patient de s’ouvrir progressivement aux apprentissages qu’imposent la découverte de la maladie et son traitement ainsi que l’obligation de prendre soin de soi pour participer à l’amélioration de sa qualité de vie dans ce contexte. En outre, les soins de support ont pour objectif d’accompagner le patient dans l’apprivoisement d’un corps vulnérable en créant de nouveaux repères de vie. Le deuil lié à la perte de l’idéal est différemment vécu par le patient et par son entourage. Pour le proche, il s’agit du deuil de l’image de l’autre suivi d’un travail de séparation, compte tenu de l’incurabilité du cancer. Nous pouvons ainsi comprendre pourquoi les patients et leurs proches n’ont pas le même cheminement ni la même disposition pour entendre les mauvaises nouvelles et pour communiquer avec l’infirmière du DA.
Les soignants sont ainsi amenés à appréhender leur représentation du cancer afin d’adapter les soins. Les perspectives thérapeutiques proposées par les soignants aux patients prennent alors un autre sens, car elles sont issues de valeurs humaines partagées.